Un monde sans Estelle

Nous sommes passés d'un monde avec Estelle, à un monde sans Estelle, soudainement, brutalement. Pour son entourage, proche et moins proche, personnel et professionnel, c'est la stupeur, l'effroi, l'incompréhension, la consternation, l'injustice, l'indignation, la dévastation. Nous savons les faits qui ont opéré à ce changement, nous éprouvons des sentiments de colère et de révolte. Je ne veux pas me laisser dominer par ceux-ci, ils sont légitimes, mais je préfère accorder plus d'importance et de place au sentiment le plus douloureux, celui de la tristesse.

Je n'étais pas un proche d'Estelle, mais j'ai découvert qu'il n'était pas nécessaire d'être un proche pour être affecté par la disparition de quelqu'un. Je connaissais Estelle, par le travail, depuis des années, son bureau a longtemps été au dessus de mon service, je la voyais souvent à l'époque, quand elle sortait fumer sa cigarette à l'extérieur ; mon travail m'a amené parfois à lui rendre service, ce qui est un plaisir gratifiant ; elle était une personne des plus charmante et attachante, au sourire rayonnant qui faisait chaud au cœur, je l'appréciais, je l'estimais, et j'ai réalisé que c'est largement suffisant pour me sentir très affecté par sa disparition.

Ce que je ne réalise pas, c'est la réalité elle-même, l'absence définitive, irrémédiable d'Estelle. Même si nous n'évoluions que dans le milieu professionnel, on ne peut rester insensible et indifférent. Disparaître si brutalement est trop dur à admettre pour le cerveau, qui n'arrive pas à assimiler l'information, et depuis que j'ai appris la nouvelle, voilà cinq jours, je n'arrive toujours pas à y croire, ça me semble surréaliste ; mon esprit tourmenté s'accroche à ce qui n'est plus la réalité, se trouvant pris dans un paradoxe, partagé entre ces deux mondes, et refusant de basculer de l'un vers l'autre. D'une certaine manière, métaphoriquement, Estelle est toujours présente, dans les cœurs, les esprits, et dans la mémoire collective, elle continue de vivre. Je suis touché par le bouleversement au travail, les témoignages d'affection à son intention, et celle de ses proches, mais on doit tous ressentir la même terrible fatalité : Estelle ne reviendra plus jamais. J'en ai le cœur serré.

S'il nous faut admettre, malgré nous, qu'Estelle ne soit plus, physiquement, parmi nous, il y a une autre réalité qui n'est pas admissible : que le fond d'un fleuve soit sa dernière demeure, et sa propre voiture, son tombeau. Pour elle, et pour le deuil de sa famille et de ses proches, le corps d'Estelle, à ma connaissance toujours immergé au moment où j'écris ces mots, doit être retrouvé.

Hommages à Estelle @ UCO

Estelle, même si ce n'est qu'un peu, je suis heureux d'avoir eu la chance de te connaître, tu ne seras pas oubliée. Adieu, puisses-tu connaître le repos et la sérénité éternels.


Estelle, assassinée une seconde fois, sur les réseaux asociaux et blogs extrémistes de la fachosphère

Sur internet, des réactions de haine apparaissent sans tarder après la publication de la nouvelle de la mort d'Estelle. Les charognards n'ont pas la décence d'observer un délai pour le deuil ; sur Facebook, réseau social facilitant le regroupement d'asociaux pathologiques, ou sur des blogs nationalistes aux charmants patronymes, Droite nationale, Fdesouche, Réseau libre, le réseau des patriotes qui publient leurs articles bleus-blancs-rouges pour cracher leur venin anti black-blanc-beurre : Assassinée par le vivre ensemble. Sous le couvert de l'anonymat et l'impunité que permettent internet et la libre expression, ces compatriotes font le procès d'Estelle, coupable à leurs yeux d'avoir aimé un homme au nom à la consonance musulmane. Les commentaires sont à vomir.
La connaissaient-ils, que savent t'ils d'elle, de sa vie ? Rien du tout, est-ce que ça les intéresse ? Pas le moins du monde, tout ce remue ménage, cette fausse indignation n'est que pure hypocrisie, tout ce qui leur importe est que son meurtrier est d'origine arabe. Cet homme, elle ne venait pas juste de le rencontrer, ils avaient une vie de couple, une maison, une petite fille de 6 ans, ils s'étaient construit une vie, et pour ce que j'en sais, ils s'étaient séparés 3 semaines auparavant, et il n'a eu de cesse de la harceler depuis. Reporter la culpabilité d'un individu sur l'ensemble d'une communauté n'est pas rendre justice à Estelle ; elle a été tuée par la jalousie et la possessivité maladives d'un homme, pas par l'obédience religieuse ni la race de celui ci.
Avant / après, le monde est toujours aussi dégueulasse, mais avec un sourire à la Estelle il était plus joli, plus doux. La nouvelle de sa disparition m'a bouleversé, et c'est un profond mépris que j'éprouve pour ces individus, ces faux chevaliers croisés de la chrétienté, mais de vrais crétins, auxquelles les notions de respect et de dignité sont étrangères, et qui, en récupérant et instrumentalisant ainsi la mort d'Estelle, l'assassinent une seconde fois.

Franck,
le 2 mars 2018


Mise à jour mercredi 7 mars 2018

Nous apprenons ce jour par la presse qu'hier, mardi 6, la voiture d'Estelle a été retrouvée ; malheureusement, son corps ne s'y trouve pas. Son meurtrier aurait déclaré pendant les auditions avoir jeté le corps dans l'eau en dehors de la voiture. C'est un nouveau coup dur pour l'entourage, les probabilités de retrouver le corps d'Estelle et le restituer à sa famille deviennent de plus en plus minces.

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